Envoyé Spécial a programmé jeudi 2
décembre 2004 un documentaire unique : le premier document audiovisuel
enquêtant réellement sur le prédicateur Tariq Ramadan. Jusqu'ici, la
plupart des émissions télévisées se sont contentées de donner la
parole, sans vérifier et sans enquêter, à cet homme rôdé au double
discours au point de se faire passer pour un réformiste progressiste
alors qu'il est fondamentaliste. Comme pour le Front national, cette
médiatisation n'a pas permis d'informer mais tout au contraire servi la
propagande intégriste. Il a fallu un livre, "Frère Tariq" de Caroline
Fourest, et un documentaire de Mohamed Sifaoui pour que le grand public
soit enfin alerté. C'est bien ce qui inquiète Tariq Ramadan — qui a
adressé une lettre de mise en garde à France 2, attaquant le
réalisateur et demandant la déprogrammation du documentaire.
Aujourd'hui, l'UOIF vient à son secours dans un communiqué construit
sur le même mode, maniant attaques et contre-vérités. Voici quelques
précisions nécessaires pour comprendre l'enjeu de cette campagne de
propagande.
• Dépêche AFP sur la demande de censure de l'UOIF
L'UOIF demande à France 2 de déprogrammer un reportage sur Tariq Ramadan
PARIS, 27 nov 2004 (AFP) © 2004 AFP Médias-islam
L'Union des organisations islamiques de France (UOIF) a demandé
samedi à France 2 de déprogrammer un reportage "aux allures de procès
d'intention" sur l'intellectuel suisse musulman Tariq Ramadan que la
chaîne française s'apprête à diffuser jeudi 2 décembre.
Dans un communiqué, l'UOIF souligne que ce reportage est "réalisé
par Mohamed Sifaoui, connu pour son hostilité contre les symboles de la
pratique musulmane". Selon l'UOIF, le même reportage a été déprogrammé
le 24 septembre dernier par la Télévision suisse romande (TSR), à
laquelle il avait été préalablement proposé, "au regard du manque
d'objectivité qui a guidé son réalisateur".
"L'UOIF dénonce et condamne cette campagne de dénigrement cautionnée
et portée aujourd'hui par une chaîne publique dont la mission
d'information est compromise par la diffusion de ce reportage aux
allures de procès d'intention", selon le texte.
"L'UOIF demande donc, au nom de la déontologie qui a guidé la TSR
dans sa décision, la déprogrammation de ce sujet et d'encourager par ce
geste la rigueur journalistique dans la recherche de la vérité",
conclut le communiqué.
• Mohamed Sifaoui porte plainte
COMMUNIQUÉ DE PRESSE du 6 décembre 2004
Dans un communiqué rendu public dès le 27 Novembre 2004, et
largement relayé les jours suivants par plusieurs médias, l'Union des
Organisations Islamiques de France (UOIF), membre du Conseil Français
du Culte Musulman (CFCM), demandait en substance à la chaîne publique
France 2 de "déprogrammer" un film sur Tariq Ramadan que j'ai réalisé
pour le compte de l'émission "Envoyé Spécial".
Le communiqué de l'UOIF précisait que sa demande était motivée par
le fait que j'étais un homme "connu pour son hostilité contre les
symboles de la pratiques musulmanes". Cette phrase qui pourrait
paraître a priori anodine pour un non-musulman comporte un sens
extrêmement lourd.
Si une telle affirmation est d'abord fausse, elle peut
incontestablement entraîner pour moi des conséquences très graves
puisque elle me décrit ni plus ni moins comme apostat. En effet,
prétendre que je serais "connu pour mon
hostilité contre les symboles de la pratique musulmane", c'est dire que
j'aurais renoncer à l'islam, ma religion. C'est là, la définition même
de l'apostasie. Or, certaines références théologiques de l'UOIF comme
Youssef Al-Qaradaoui rappelle dans une contribution sur le site
internet "islamophilie.org" datée du 30 décembre 2002 que "les juristes
de l'Islam sont unanimement d'avis que l'apostat mérite une peine –
même s'ils peuvent diverger sur sa nature. Leur grande majorité estime
que cette peine est la peine de mort. C'est l'avis des quatre écoles de
jurisprudence islamique, voire des huit écoles". Le même Al-Qaradaoui
explique dans son texte qu'il y aurait plusieurs types d'apostasie dont
ce qu'il qualifie "d'apostasie intellectuelle" qui, selon lui,
s'exprime à travers différents supports médiatiques.
Par ailleurs, l'imam Nawawi, l'une des références théologiques du
monde musulman estime que "L'apostasie consiste à abjurer l'islam - en
sortir - par l'intention, les mots, les actes, le fait de nier, ou
encore par des propos qui ont été dit en plaisantant, par rejet ou par
contradiction ou en y croyant". Cette définition correspond à
l'affirmation de l'UOIF à mon endroit puisque celui qui serait "hostile
aux symboles de la pratique musulmane" est forcément quelqu'un qui
abjure la religion musulmane.
Dans cet ordre d'idées, étant décrit publiquement par l'UOIF comme
étant quelqu'un qui serait "hostile aux symboles de la pratique" de sa
propre religion, sous-entend que j'aurais renoncé à l'islam et par
conséquent passible au regard de certaines interprétations de la loi
islamique de la peine de mort.
Etant journaliste et réalisateur, je me rends souvent dans des pays
musulmans, il m'arrive d'aller réaliser des reportages dans des Etats
théocratiques appliquant la charia. Quel sort pourrait m'être réservé
dans un pays islamiste où les dirigeants ou la population auraient pris
connaissance de l'accusation de l'UOIF ?
Au regard de ce qui précède, j'ai décidé de poursuivre l'UOIF et son
secrétaire général Fouad Allaoui, signataire du communiqué devant les
tribunaux de la République.
Par ailleurs, j'ai officiellement écrit à MM Le Président de la
République pour l'informer de ce grave précédent, le Ministre de
l'Intérieur pour lui demander de prendre les mesures nécessaires pour
renforcer ma sécurité et au Président du CFCM, Dalil Boubekeur, pour
lui demander de dénoncer et condamner publiquement l'odieux communiqué
de l'UOIF.
Je tiens à travers ce communiqué prendre à témoin l'ensemble de la
presse française et internationale et à travers elle l'ensemble de
l'opinion publique afin que cessent les intimidations à l'égard des
journalistes ou intellectuels qui critiquent les islamistes ou leurs
organisations. D'autre part, j'informe l'opinion publique qu'une
plainte va être déposé à la suite des insultes et des menaces que j'ai
subies au niveau de la librairie Al-Tawhid au cours de la réalisation
du film sur Tariq Ramadan.
L'année dernière, des journalistes préparant un documentaire pour
Canal + ont été agressés par des islamistes et leur leader, considéré
pourtant par certains comme "respectable". Cette affaire a été passée
sous silence. Je n'accepterais pas que l'intégrité physique d'un
journaliste ou d'un quelconque citoyen soit menacée et passée par
pertes et profits exceptionnels. C'est la raison pour laquelle,
j'utiliserai tous les moyens légaux et civilisés pour que justice me
soit rendue dans cette affaire que je considère très grave.
Mohamed Sifaoui
• Qui est Mohamed Sifaoui ?
On connaît Mohamed Sifaoui pour ses reportages, courageux, sur
l’islamisme. En Algérie, il travaillait pour un journal dont le siège a
été soufflé par un attentat du GIA. Rescapé, il a perdu plusieurs de
ses collègues et amis. Depuis la “concorde civile”, il a du mal à
supporter l’idée de pouvoir croiser l’un de ces assassins dans la rue,
libres comme l’air, comme si de rien n’était. Lui-même ne peut pas
rentrer en Algérie et voir sa famille à cause de ses désaccords avec le
pouvoir en place. Alors il exerce ses talents en France. Le 1er octobre
2002, il se rend au tribunal où l’on juge les deux auteurs de
l’attentat de St Michel qui a frappé la France en 95. Il croise un ami
d’enfance. Un sympathisant des islamistes, qui le croit aussitôt des
leurs. Par réflexe journalistique, Sifaoui ne dément pas, le laisse
parler, au point d’être mis en contact avec une petite équipe au
service du djihad. Il filme en caméra cachée, devenant l’un des
premiers journalistes à avoir infiltré une cellule reliée à Al-Qaïda et
à nous ramener les images. Depuis, bien sûr, il est haï et considéré
comme un « traître » par les réseaux islamistes de l’hexagone qui lui
repprochent, comme il le font toujours, de soutenir les généraux plutôt
que les intégristes ! En réalité, comme beaucoup de démocrates
algériens, Mohamed Sifaoui est tout simplement révolté par la tentative
de réécriture de l'histoire visant à dédouaner les islamistes des
massacres en Algérie au profit d'une mise en accusation de l'armée. Ce
qui lui a valu d'être en total désaccord avec les éditions La
Découverte. Il s'en explique très bien sur le sie Alériensemble :
http://www.algeriensemble.com/sale_guerre.htm
- Précision : Tariq Ramadan a tenté de disqualifier Mohamed Sifaoui
en lui repprochant d'avoir témoigné contre lui dans un procès... Sans
dire que Mohamed Sifaoui avait témoigné dans un tribunal en tant que
journaliste défendant la liberté d'expression ! En effet, le procès en
question a été intenté par Ramadan à Antoine Sfeir des Cahiers de
l'Orient (il l'a perdu), pour des propos lui attribuant une influence
inquiétante, et Mohamed Sifaoui a été cité par Sfeir justement parce
qu'il connaissait à la fois très bien les questions journalistiques et
Tariq Ramadan. Il n'a pas témoigné contre Ramadan mais pour permettre à
un confrère de ne pas être condamné pour avoir osé parler sur Ramadan !
Il est très logique que Sifaoui ait continué par la suite à travailler
sur Tariq Ramadan puisque c'est précisément sa spécialité et donc la
raison pour laquelle il a été invité à témoigné à ce tribunal. Une
bonne connaissance que Ramadan voudrait disqualifier comme "partiale",
comme chaque fois qu'un journaliste n'est pas fasciné mais au contraire
animé par son esprit critique à son endroit.
• Un documentaire sobre et documenté
De l'avis de tous ceux qui connaissent la complexité du personnage,
le documentaire réalisé par Mohamed Sifaoui est à la fois sobre, clair
et mesuré. Il pose simplement quelques questions, auxquelles il répond
par des faits , des documents et des témoignages tous vérifiables et
vérifiés. Un moment fort : celui où Sifaoui se rendu au siège lyonnais
du prédicateur : la librairie Tawhid. Ne sachant pas qu’il était
enregistré, l’un des fidèles de Ramadan l’a cordialement menacé. Le
reste du reportage, diffusé sur Envoyé Spécial, est également
instructif. Pour la première fois, un journaliste télé a vraiment
enquêté au lieu de se contenter d’interviewer Ramadan. D’ailleurs
Ramadan a refusé de le rencontrer. Mais Sifaoui lui a quand même donné
la parole : en diffusant des extraits de ses conférences audio et
vidéo. Edifiant. Aussi en interviewant plusieurs de ses soutiens ou
amis, comme l’islamologue Bruno Etienne. Mais, pour la première fois
dans un reportage, Sifaoui a également donné la parole à tous ceux qui
tirent la sonnette d’alarme. L’auteure de Frère Tariq, Caroline Fourest
y est interviewée. Ainsi qu'Antoine Sfeir (directeur des Cahiers de
l’Orient), Richard Labévière (journaliste à RFI), Jean-Charles Brisard
(avocat du collectif des familles du 11/09) ou encore le directeur de
thèse de Tariq Ramadan… qui a découvert avec effroi combien ce dernier
n’avait aucun recul vis-à-vis de la pensée de son grand-père et tentait
tout au contraire de le réhabiliter par le biais d’une thèse
apologétique. Le résultat est sobre, presque trop mesuré, mais
convainquant.
• Ce qu'il faut savoire sur la Télévision Suisse Romande
L’histoire même de la diffusion du film est révélatrice des
complicités dont bénéficie Ramadan, notamment dans la presse Suisse où
les Frères Hani et Tariq interviennent de façon omniprésente. La
Télévision Suisse Romande est connue pour servir régulièrement de
tribune à la famille Ramadan. Soutenue par de riches protecteurs
Saoudiens, les Ramadan ont toujours bénéficié d'une certaine
complaisance en Terre bancaire. Mais cette complaisance s'est accentuée
depuis que la partie lémanique est prise d'une fièvre xénophobe et
raciste et que la partie francophone prétend y résister en donnant la
parole, sans esprit critique, à tout défenseur de l'islam — fût-il
intégriste. Avec le reportage de Sifaoui, la TSR aurait pu rétablir un
tout petit peu l’équilibre. Raté.
Au début, la chaîne feint de s’intéresser au projet. Elle visionne
le film, félicite son réalisateur et insiste même pour diffuser le
reportage en premier, avant la France et Envoyé Spécial. Puis, soudain,
elle prétexte le référendum sur la naturalisation suisse pour rapporter
la diffusion. Sans doute à raison, vu le climat populiste et xénophobe
suscité par le débat. Mais une fois le débat passé, n’était-il pas
temps d’informer, enfin, les téléspectateurs Suisse sur le vrai visage
d’un homme qu’elle présente depuis des années comme un « simple
intellectuel musulman » voire comme un musulman progressiste ? La TSR
rechigne, demande à Sifaoui de refaire son film et veut même censurer
certains passages, pourtant on ne peut plus corrects et mesurés ! Ce
que le réalisateur ne peut accepter. Bilan, le film ne passera pas sur
la TSR. Tant pis. Les téléspectateurs suisses pourront toujours ghetter
la rediffusion d’Envoyé Spécial sur TV5 se dit-on … Mais là aussi la
chaîne s'emmêle, prouvant qu'elle est décidémment très motivée pour
prendre la défense de Tariq Ramadan. Non contente de servir sa
propagande depuis des années et d'avoir pris parti en sa faveur contre
le réalisateur Mohamed Sifaoui, la TSR est allé jusqu'à faire pression
sur TV5 pour que la chaîne francophone ne rediffuse pas Envoyé
Spécial ! Pour l'instant, le reportage n'est toujours pas passé. Par
contre, TV5 a bizarrement diffusé un programme qui n'était pas prévu :
le débat Ramadan/ Favrot organisé par la TSR (très à l'avantage de
Ramadan, comme toujours)... diffusé quelques jours à peine après le
documentaire de France 2.
• L'intimidation continue
Une petite troupe de supporters de Tariq Ramadan a manifesté devant
France 2 sa colère face à la programmation de ce documentaire —
pourtant on ne peut plus soft et mesuré — sur Tariq Ramadan. Selon ces
manifestants, le documentaire repprocherait à tort à Tariq Ramadan
d'avoir voulu faire déprogrammer une pièce de Voltaire au milieu des
années 90 en Suisse. Chose que plusieurs témoins et articles parus dans
la presse, y compris sous la plume de monsieur Ramadan lui même,
confirment. Le plus drôle étant qu'ils accusent le film de vouloir
faire passer Ramadan pour un censeur en venant manifester contre... la
programmation d'un film ! Une délégation a été reçue.
Les troupes ne désarment pas et appellent à une grande manifestation
contre l'"islamophobie médiatique", le 21 janvier, qui ressemble fort à
une tentative pour intimider tous les médias osant travailler sur
l'intégrisme. Une étape de plus dans la prise en otage du mouvement
antiraciste au service de la lutte anti-blasphème. Le 7 novembre,
l'UOIF a obtenu le droit de marcher aux côtés des associations
antiracistes comme le MRAP ou la LDH. Cette fois, doit-on craindre que
le MRAP et la LDH manifestent sous les mots d'ordre des intégristes ?
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