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Pour un islam des lumières

16 mars 2006

Menaces de mort contre le "manifeste des douze"

Samedi 11 mars, un site islamiste britannique a diffusé cette menace de mort envers 12 signataires du Manifeste "Ensemble contre le nouveau totalitarisme"*.

Le texte de la menace paru sur ummah.net est très clair : " Excellent, tuer les kafir sera plus facile (...) maintenant nous avons la liste, le Who's who des personnes à descendre. Prenez votre temps, mais soyez sûrs qu'ils seront partis bientôt. Oh, n'attendez pas une Fatwa, elle n'est vraiment pas nécessaire ici."

Cette menace est d’autant plus inacceptable sachant que ce manifeste n'appelle qu'à la résistance des idées. Les intégristes nous ont répondu par la violence. Ce qui est la preuve, s'il en était besoin, de leur refus du débat démocratique et de leur totalitarisme. Cette violence est d'autant plus préoccupante qu'il s'agit d'un texte de réflexion appelant à la solidarité avec tous les accusés de blasphème. Dans un contexte de remontée de l'intolérance religieuse et de tous les intégrismes, mais où l'islamisme présente toutefois un risque global totalitaire accru. Les signataires, dont plusieurs ont été menacés de mort pour leurs positions, peuvent en témoigner.

Il ne s'agit en aucun cas d'un texte contre l'islam mais contre l'islamisme, c'est-à-dire contre l'instrumentalisation politique liberticide de l'islam. Ce texte appelle à sortir de la confusion induite par le mot "islamophobie" qui confond la critique (légitime) de l'islam en tant qu'idéologie et la stigmatisation (inacceptable) des croyants en tant qu'individus.

En militant contre l'instrumentalisation politique abusive de l'islam aussi bien que contre le "relativisme culturel" (au nom duquel on voudrait priver les individus de culture musulmane du droit à l'égalité et à la laïcité), il plaide à la fois contre le racisme et contre l'intégrisme. Ce qui en fait un texte mesuré, face auquel la violence est d'autant plus démesurée et injustifiée.

Pour toutes ces raisons, nous vous demandons de soutenir le manifeste des douze, "Ensemble contre le nouveau totalitarisme", afin de visibiliser la solidarité des démocrates qui, quelles que soient leurs origines ou leur confessions, refusent de se laisser intimider par les injonctions intégristes et totalitaires.

Bien à vous, Caroline Fourest

Prochoix

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13 mars 2006

Le « manifeste des douze » fait réagir

Le manifeste des douze n’ambitionnait qu’une seule chose : provoquer le débat au sein d’un nombre le plus élevé de journaux et donc de pays. Dire haut et fort que l’islamisme est un nouveau totalitarisme. Face auquel on ne gagnera pas par les armes mais grâce au combat des idées. Cette résistance par les idées n’est possible que si l’on abdique pas ses seules armes pour résister : la liberté d’expression, la plume, le sens de l’humour. Or l’affaire des dessins sur Mahomet a montré combien certains étaient prêts à renoncer à résister sous prétexte de ne pas « offenser », de ne pas « mettre de l’huile sur le feu ».

Ce renoncement n’est pas simplement le fait de gouvernements tétanisés par le chantage au boycott économique, mais aussi celui d’une certaine gauche paralysée par le « relativisme culturel » (l’humour, le féminisme et la laïcité seraient bon pour tout le monde sauf pour les musulmans, enfermés dans une essence archaïque et exotique) et le concept d’ « islamophobie » (un terme qui confond la stigmatisation inacceptable des musulmans et la critique légitime de l’islam en tant que religion au point de transformer l’anti-racisme en machine à censurer anti-blasphème !).

Salman Rushdie, Taslima Nasreen et Ayaan Hirsi Ali qui ont été soutenus lorsqu’ils été attaquées comme « apostats « mais lâchés lorsque les mêmes les ont traité d’« islamophobes », par une gauche obscurantiste qui leur nie le droit de critiquer la religion au nom de laquelle on les opprime, sont bien placés pour pousser ce cri. A leurs côtés, des intellectuels écrivant depuis des années contre l’intégrisme, dont plusieurs iraniens réfugiés en Europe, ont tenu à manifester leur inquiétude face à la confusion grandissante, sur les mots et donc sur les principes, face à ce danger de type global et totalitaire. Ceux-là ont connu l’époque où la même confusion, et la lutte prioritaire contre l’impérialisme, avait convaincu les marxistes de s’allier aux islamistes pour porter Khomeiny au pouvoir… Plus jamais ça. C’est aussi le sens de ce manifeste. Qui a fait immédiatement réagir, soulevant l’enthousiasme et la libération ou la gène de ceux qui n’aiment pas « mettre de l’huile sur le feu », comme si le feu n’avait pas pris depuis longtemps.

Les blog iraniens, où se connecte en masse la société civile avide de libertés et de changement, ont été les premiers à reprendre le texte et à le traduire en farci. Dès le matin de sa publication dans Charlie. La veille, une dépêche AFP (Agence France presse) a suscité une cascade de coups de fil et de demandes d’interview, en France mais surtout à l’étranger. En premier lieu au Danemark, où le débat sur les dessins continue de faire rage. Tous les quotidiens, notamment de gauche, n’ont pas voulu soutenir le Jyllands-Posten ayant publié les caricatures. Il est vrai que le contexte Danois n’est pas le nôtre. La xénophobie y sévit, jusqu’au sommet de l’Etat, ce qui rend plus prudent. Mais n’est-ce pas encourager le populisme de droite que de lui laisser éternellement le monopole de la résistance au totalitarisme ? Et à quoi ressemblera la gauche européenne dans quelques années si elle cesse d’être anti-intégriste et anti-fasciste ? Tout le débat est là. Et il est suffisamment important pour que l’ensemble des journaux Danois aient repris le manifeste à leur une. Certains avec enthousiasme, d’autres plus critiques.

Ainsi L'éditorial d’un journal de gauche titre "Le but est juste… mais l'analyse et les moyens pour y arriver sont faux ». La suite est un condensé d’inexactitudes. Puisque le journal explique que " le terrorisme est l'arme du faible (...) la panique morale qui se sent dans le manifeste est donc sans fondement » Le journal Danois tombe dans le piège tendu par les faucons du Pentagone puisqu’il ne sait plus faire la différence entre « terrorisme » (dont ne parle pas le manifeste) et intégrisme musulman, soit l’idéologie politique liberticide dont parle le manifeste. Sa confusion se poursuit lorsqu’il ajoute : « le manifeste commet l'erreur d'attaquer l'ennemi faible, mais méchant sur son seul point fort: la religion. (...) si on fait de l'islam l'ennemi, le risque est qu'on finit dans la guerre entre civilisations, que les auteurs du manifeste cherchent à éviter avec leur juste opposition entre démocrates et théocrates. » Problème, le manifeste n’attaque en aucun cas l’islam mais l’islamisme, c’est à dire l’instrumentalisation politique et réactionnaire de l’islam. Preuve, s’il en était besoin, que la confusion sur les termes piège l’esprit critique et donc paralyse toute réponse intelligente face à l’intégrisme.

Les faucons du pentagone ont encore de beaux jours devant eux. Car pendant qu’ils positionnent la résistance à l’islamisme sur le champ stérile de la guerre contre l’ «axe du mal », chaque fois que des intellectuels, même féministes et laïque, même de culture musulmane, tentent une autre approche… Des esprits confus, comme The Brussels Journal en Belgique ou The Toronto Star au Canada, crient à l’ « islamophobie ».

Heureusement, de très nombreux confrères ont préféré donner la parole aux signataires plutôt que de juger sans comprendre : L’Express a été le premier hebdo français à reproduire intégralement le manifeste, ainsi que TOC magazine. Beaucoup de radio (RTL, RMC, France Info) ont relayé l’initiative. Al Jazira a repris, sans la commenter, l’intégralité de la dépêché AFP. La BBC et Sky news en Italie ont signalé le manifeste. Sur internet, le texte a été reprise par de très nombreux sites, notamment Proche-orient.info et France2.fr. A ce jour, le manifeste a été repris en Suisse, au Danemark, en Belgique, en Allemagne, en Italie, au Canada, à Chypre et en Colombie. Les journaux anglais et Américains, qui ont décrété une sorte d’embargo contre la publication des dessins sur Mahomet, sont les plus réticents. Comme si la guerre en Irak mettait moins d’ « huile sur le feu » que la publication de caricatures sur la religion ou d’un manifeste signé par Salman Rushdie réclamant la résistance des idées…

De nombreux lecteurs ont fait circuler des mails pour soutenir Charlie hebdo. Certains nous comparent à l’Aurore qui avait, en son temps, publié le « J’accuse » de Zola. D’autres voudraient que l’on soit « douze millions » à signer. Rappelons que deux autres pétitions sont à signer.

- L’Appel des musulmans, agnostiques et athées de culture musulmane, pour la liberté de la presse sur http://www.histoiresdememoire.org

- Et « Defend Free Speech and Secularism », lancé par Maryam Namazie, responsable d’un mouvement de résistance communiste iranien depuis l’Angleterre : http://new.PetitionOnline.com/namazie/petition.html

Ces deux pétitions, ainsi que l’évolution au jour le jour du manifeste (ses traductions) sont à suivre sur le site de la Revue ProChoix : http://www.prochoix.org

Caroline Fourest

Prochoix

5 décembre 2004

Tentatives pour censurer le documentaire d'Envoyé Spécial réalisé par Mohamed Sifaoui sur Tariq Ramadan

Envoyé Spécial a programmé jeudi 2 décembre 2004 un documentaire unique : le premier document audiovisuel enquêtant réellement sur le prédicateur Tariq Ramadan. Jusqu'ici, la plupart des émissions télévisées se sont contentées de donner la parole, sans vérifier et sans enquêter, à cet homme rôdé au double discours au point de se faire passer pour un réformiste progressiste alors qu'il est fondamentaliste. Comme pour le Front national, cette médiatisation n'a pas permis d'informer mais tout au contraire servi la propagande intégriste. Il a fallu un livre, "Frère Tariq" de Caroline Fourest, et un documentaire de Mohamed Sifaoui pour que le grand public soit enfin alerté. C'est bien ce qui inquiète Tariq Ramadan — qui a adressé une lettre de mise en garde à France 2, attaquant le réalisateur et demandant la déprogrammation du documentaire. Aujourd'hui, l'UOIF vient à son secours dans un communiqué construit sur le même mode, maniant attaques et contre-vérités. Voici quelques précisions nécessaires pour comprendre l'enjeu de cette campagne de propagande.

• Dépêche AFP sur la demande de censure de l'UOIF

L'UOIF demande à France 2 de déprogrammer un reportage sur Tariq Ramadan

PARIS, 27 nov 2004 (AFP) © 2004 AFP Médias-islam

L'Union des organisations islamiques de France (UOIF) a demandé samedi à France 2 de déprogrammer un reportage "aux allures de procès d'intention" sur l'intellectuel suisse musulman Tariq Ramadan que la chaîne française s'apprête à diffuser jeudi 2 décembre.

Dans un communiqué, l'UOIF souligne que ce reportage est "réalisé par Mohamed Sifaoui, connu pour son hostilité contre les symboles de la pratique musulmane". Selon l'UOIF, le même reportage a été déprogrammé le 24 septembre dernier par la Télévision suisse romande (TSR), à laquelle il avait été préalablement proposé, "au regard du manque d'objectivité qui a guidé son réalisateur".

"L'UOIF dénonce et condamne cette campagne de dénigrement cautionnée et portée aujourd'hui par une chaîne publique dont la mission d'information est compromise par la diffusion de ce reportage aux allures de procès d'intention", selon le texte.

"L'UOIF demande donc, au nom de la déontologie qui a guidé la TSR dans sa décision, la déprogrammation de ce sujet et d'encourager par ce geste la rigueur journalistique dans la recherche de la vérité", conclut le communiqué.

• Mohamed Sifaoui porte plainte

COMMUNIQUÉ DE PRESSE du 6 décembre 2004

Dans un communiqué rendu public dès le 27 Novembre 2004, et largement relayé les jours suivants par plusieurs médias, l'Union des Organisations Islamiques de France (UOIF), membre du Conseil Français du Culte Musulman (CFCM), demandait en substance à la chaîne publique France 2 de "déprogrammer" un film sur Tariq Ramadan que j'ai réalisé pour le compte de l'émission "Envoyé Spécial".

Le communiqué de l'UOIF précisait que sa demande était motivée par le fait que j'étais un homme "connu pour son hostilité contre les symboles de la pratiques musulmanes". Cette phrase qui pourrait paraître a priori anodine pour un non-musulman comporte un sens extrêmement lourd.

Si une telle affirmation est d'abord fausse, elle peut incontestablement entraîner pour moi des conséquences très graves puisque elle me décrit ni plus ni moins comme apostat. En effet, prétendre que je serais "connu pour mon hostilité contre les symboles de la pratique musulmane", c'est dire que j'aurais renoncer à l'islam, ma religion. C'est là, la définition même de l'apostasie. Or, certaines références théologiques de l'UOIF comme Youssef Al-Qaradaoui rappelle dans une contribution sur le site internet "islamophilie.org" datée du 30 décembre 2002 que "les juristes de l'Islam sont unanimement d'avis que l'apostat mérite une peine – même s'ils peuvent diverger sur sa nature. Leur grande majorité estime que cette peine est la peine de mort. C'est l'avis des quatre écoles de jurisprudence islamique, voire des huit écoles". Le même Al-Qaradaoui explique dans son texte qu'il y aurait plusieurs types d'apostasie dont ce qu'il qualifie "d'apostasie intellectuelle" qui, selon lui, s'exprime à travers différents supports médiatiques.

Par ailleurs, l'imam Nawawi, l'une des références théologiques du monde musulman estime que "L'apostasie consiste à abjurer l'islam - en sortir - par l'intention, les mots, les actes, le fait de nier, ou encore par des propos qui ont été dit en plaisantant, par rejet ou par contradiction ou en y croyant". Cette définition correspond à l'affirmation de l'UOIF à mon endroit puisque celui qui serait "hostile aux symboles de la pratique musulmane" est forcément quelqu'un qui abjure la religion musulmane.

Dans cet ordre d'idées, étant décrit publiquement par l'UOIF comme étant quelqu'un qui serait "hostile aux symboles de la pratique" de sa propre religion, sous-entend que j'aurais renoncé à l'islam et par conséquent passible au regard de certaines interprétations de la loi islamique de la peine de mort.

Etant journaliste et réalisateur, je me rends souvent dans des pays musulmans, il m'arrive d'aller réaliser des reportages dans des Etats théocratiques appliquant la charia. Quel sort pourrait m'être réservé dans un pays islamiste où les dirigeants ou la population auraient pris connaissance de l'accusation de l'UOIF ?

Au regard de ce qui précède, j'ai décidé de poursuivre l'UOIF et son secrétaire général Fouad Allaoui, signataire du communiqué devant les tribunaux de la République.

Par ailleurs, j'ai officiellement écrit à MM Le Président de la République pour l'informer de ce grave précédent, le Ministre de l'Intérieur pour lui demander de prendre les mesures nécessaires pour renforcer ma sécurité et au Président du CFCM, Dalil Boubekeur, pour lui demander de dénoncer et condamner publiquement l'odieux communiqué de l'UOIF.

Je tiens à travers ce communiqué prendre à témoin l'ensemble de la presse française et internationale et à travers elle l'ensemble de l'opinion publique afin que cessent les intimidations à l'égard des journalistes ou intellectuels qui critiquent les islamistes ou leurs organisations. D'autre part, j'informe l'opinion publique qu'une plainte va être déposé à la suite des insultes et des menaces que j'ai subies au niveau de la librairie Al-Tawhid au cours de la réalisation du film sur Tariq Ramadan.

L'année dernière, des journalistes préparant un documentaire pour Canal + ont été agressés par des islamistes et leur leader, considéré pourtant par certains comme "respectable". Cette affaire a été passée sous silence. Je n'accepterais pas que l'intégrité physique d'un journaliste ou d'un quelconque citoyen soit menacée et passée par pertes et profits exceptionnels. C'est la raison pour laquelle, j'utiliserai tous les moyens légaux et civilisés pour que justice me soit rendue dans cette affaire que je considère très grave.

Mohamed Sifaoui

• Qui est Mohamed Sifaoui ?

On connaît Mohamed Sifaoui pour ses reportages, courageux, sur l’islamisme. En Algérie, il travaillait pour un journal dont le siège a été soufflé par un attentat du GIA. Rescapé, il a perdu plusieurs de ses collègues et amis. Depuis la “concorde civile”, il a du mal à supporter l’idée de pouvoir croiser l’un de ces assassins dans la rue, libres comme l’air, comme si de rien n’était. Lui-même ne peut pas rentrer en Algérie et voir sa famille à cause de ses désaccords avec le pouvoir en place. Alors il exerce ses talents en France. Le 1er octobre 2002, il se rend au tribunal où l’on juge les deux auteurs de l’attentat de St Michel qui a frappé la France en 95. Il croise un ami d’enfance. Un sympathisant des islamistes, qui le croit aussitôt des leurs. Par réflexe journalistique, Sifaoui ne dément pas, le laisse parler, au point d’être mis en contact avec une petite équipe au service du djihad. Il filme en caméra cachée, devenant l’un des premiers journalistes à avoir infiltré une cellule reliée à Al-Qaïda et à nous ramener les images. Depuis, bien sûr, il est haï et considéré comme un « traître » par les réseaux islamistes de l’hexagone qui lui repprochent, comme il le font toujours, de soutenir les généraux plutôt que les intégristes ! En réalité, comme beaucoup de démocrates algériens, Mohamed Sifaoui est tout simplement révolté par la tentative de réécriture de l'histoire visant à dédouaner les islamistes des massacres en Algérie au profit d'une mise en accusation de l'armée. Ce qui lui a valu d'être en total désaccord avec les éditions La Découverte. Il s'en explique très bien sur le sie Alériensemble :

http://www.algeriensemble.com/sale_guerre.htm

  • Précision : Tariq Ramadan a tenté de disqualifier Mohamed Sifaoui en lui repprochant d'avoir témoigné contre lui dans un procès... Sans dire que Mohamed Sifaoui avait témoigné dans un tribunal en tant que journaliste défendant la liberté d'expression ! En effet, le procès en question a été intenté par Ramadan à Antoine Sfeir des Cahiers de l'Orient (il l'a perdu), pour des propos lui attribuant une influence inquiétante, et Mohamed Sifaoui a été cité par Sfeir justement parce qu'il connaissait à la fois très bien les questions journalistiques et Tariq Ramadan. Il n'a pas témoigné contre Ramadan mais pour permettre à un confrère de ne pas être condamné pour avoir osé parler sur Ramadan ! Il est très logique que Sifaoui ait continué par la suite à travailler sur Tariq Ramadan puisque c'est précisément sa spécialité et donc la raison pour laquelle il a été invité à témoigné à ce tribunal. Une bonne connaissance que Ramadan voudrait disqualifier comme "partiale", comme chaque fois qu'un journaliste n'est pas fasciné mais au contraire animé par son esprit critique à son endroit.

• Un documentaire sobre et documenté

De l'avis de tous ceux qui connaissent la complexité du personnage, le documentaire réalisé par Mohamed Sifaoui est à la fois sobre, clair et mesuré. Il pose simplement quelques questions, auxquelles il répond par des faits , des documents et des témoignages tous vérifiables et vérifiés. Un moment fort : celui où Sifaoui se rendu au siège lyonnais du prédicateur : la librairie Tawhid. Ne sachant pas qu’il était enregistré, l’un des fidèles de Ramadan l’a cordialement menacé. Le reste du reportage, diffusé sur Envoyé Spécial, est également instructif. Pour la première fois, un journaliste télé a vraiment enquêté au lieu de se contenter d’interviewer Ramadan. D’ailleurs Ramadan a refusé de le rencontrer. Mais Sifaoui lui a quand même donné la parole : en diffusant des extraits de ses conférences audio et vidéo. Edifiant. Aussi en interviewant plusieurs de ses soutiens ou amis, comme l’islamologue Bruno Etienne. Mais, pour la première fois dans un reportage, Sifaoui a également donné la parole à tous ceux qui tirent la sonnette d’alarme. L’auteure de Frère Tariq, Caroline Fourest y est interviewée. Ainsi qu'Antoine Sfeir (directeur des Cahiers de l’Orient), Richard Labévière (journaliste à RFI), Jean-Charles Brisard (avocat du collectif des familles du 11/09) ou encore le directeur de thèse de Tariq Ramadan… qui a découvert avec effroi combien ce dernier n’avait aucun recul vis-à-vis de la pensée de son grand-père et tentait tout au contraire de le réhabiliter par le biais d’une thèse apologétique. Le résultat est sobre, presque trop mesuré, mais convainquant.

• Ce qu'il faut savoire sur la Télévision Suisse Romande

L’histoire même de la diffusion du film est révélatrice des complicités dont bénéficie Ramadan, notamment dans la presse Suisse où les Frères Hani et Tariq interviennent de façon omniprésente. La Télévision Suisse Romande est connue pour servir régulièrement de tribune à la famille Ramadan. Soutenue par de riches protecteurs Saoudiens, les Ramadan ont toujours bénéficié d'une certaine complaisance en Terre bancaire. Mais cette complaisance s'est accentuée depuis que la partie lémanique est prise d'une fièvre xénophobe et raciste et que la partie francophone prétend y résister en donnant la parole, sans esprit critique, à tout défenseur de l'islam — fût-il intégriste. Avec le reportage de Sifaoui, la TSR aurait pu rétablir un tout petit peu l’équilibre. Raté.

Au début, la chaîne feint de s’intéresser au projet. Elle visionne le film, félicite son réalisateur et insiste même pour diffuser le reportage en premier, avant la France et Envoyé Spécial. Puis, soudain, elle prétexte le référendum sur la naturalisation suisse pour rapporter la diffusion. Sans doute à raison, vu le climat populiste et xénophobe suscité par le débat. Mais une fois le débat passé, n’était-il pas temps d’informer, enfin, les téléspectateurs Suisse sur le vrai visage d’un homme qu’elle présente depuis des années comme un « simple intellectuel musulman » voire comme un musulman progressiste ? La TSR rechigne, demande à Sifaoui de refaire son film et veut même censurer certains passages, pourtant on ne peut plus corrects et mesurés ! Ce que le réalisateur ne peut accepter. Bilan, le film ne passera pas sur la TSR. Tant pis. Les téléspectateurs suisses pourront toujours ghetter la rediffusion d’Envoyé Spécial sur TV5 se dit-on … Mais là aussi la chaîne s'emmêle, prouvant qu'elle est décidémment très motivée pour prendre la défense de Tariq Ramadan. Non contente de servir sa propagande depuis des années et d'avoir pris parti en sa faveur contre le réalisateur Mohamed Sifaoui, la TSR est allé jusqu'à faire pression sur TV5 pour que la chaîne francophone ne rediffuse pas Envoyé Spécial ! Pour l'instant, le reportage n'est toujours pas passé. Par contre, TV5 a bizarrement diffusé un programme qui n'était pas prévu : le débat Ramadan/ Favrot organisé par la TSR (très à l'avantage de Ramadan, comme toujours)... diffusé quelques jours à peine après le documentaire de France 2.

• L'intimidation continue

Une petite troupe de supporters de Tariq Ramadan a manifesté devant France 2 sa colère face à la programmation de ce documentaire — pourtant on ne peut plus soft et mesuré — sur Tariq Ramadan. Selon ces manifestants, le documentaire repprocherait à tort à Tariq Ramadan d'avoir voulu faire déprogrammer une pièce de Voltaire au milieu des années 90 en Suisse. Chose que plusieurs témoins et articles parus dans la presse, y compris sous la plume de monsieur Ramadan lui même, confirment. Le plus drôle étant qu'ils accusent le film de vouloir faire passer Ramadan pour un censeur en venant manifester contre... la programmation d'un film ! Une délégation a été reçue.

Les troupes ne désarment pas et appellent à une grande manifestation contre l'"islamophobie médiatique", le 21 janvier, qui ressemble fort à une tentative pour intimider tous les médias osant travailler sur l'intégrisme. Une étape de plus dans la prise en otage du mouvement antiraciste au service de la lutte anti-blasphème. Le 7 novembre, l'UOIF a obtenu le droit de marcher aux côtés des associations antiracistes comme le MRAP ou la LDH. Cette fois, doit-on craindre que le MRAP et la LDH manifestent sous les mots d'ordre des intégristes ?

Prochoix

3 novembre 2004

De l’antiracisme au sarkozysme

Le pragmatisme sarkozien contamine les associations antiracistes : au nom de la « cohésion », le MRAP et la LDH appellent à manifester le 7 novembre contre le racisme, en compagnie d’antisémites notoires. Dans son dernier livre, Nicolas Sarkozy a le mérite d’être clair : les politiques doivent intégrer davantage les revendications des religieux. Si la France avait tenu compte de l’Eglise pour légiferer, les femmes n’auraient pas le droit de vote, et ne parlons même pas de la contraception ou de l’avortement. Les lobbyistes chrétiens imposeraient leur point de vue dans tous les rouages de l’Etat. Les enfants apprendraient le catéchisme sous un crucifix. Le blasphème serait interdit et les délires de Mel Gibson ensencés. Car Sarkozy l’a bien compris, moins de laîcité, cela signifie plus de christianisme. Et c’est sur cette base qu’il est contre l’entrée de la Turquie en Europe. C’est également pour cela qu’il a décidé d’instrumentaliser les musulmans, troisième religion pratiquée en France. Pour lui, toute personne ayant un parent de culture musulmanne est un musulman. D’ailleurs, lors de l’émission « 100 minutes pour convaincre », il avait déclaré : « musulman, ça se voit sur la figure ». En toute logique, Sarkozy a donc fondé le CFCM, un organe censé représenter le culte musulman, dans lequel il a contraint des musulmans laiques et libéraux a siéger avec des musulmans intégristes. Non pas, comme il le prétend, dans le but d’« intégrer » les musulmans français, mais pour affaiblir la laicité. Jusqu’ici, tout est, disons, normal : Sarkozy est un homme de droite, catholique et surtout pragmatique, qui se plait à confondre les individus et les étiquettes qu’il leur asigne. Ce qui est moins normal, en revanche, c’est que des associations de gauche dérivent de l’universalisme au différentialisme culturel pour les même raisons. Le 7 novembre prochain, le MRAP et la LDH appellent à une manifestation unitaire contre le racisme. Un grand nombre d’organisations avaient déjà signé cet appel lorsqu’elles ont découvert, un peu tard et avec stupeur, qu’elles défileraient aux côtés de l’Union des organisations islamiques de France (UOIF) et du Collectif des musulmans de France, également signataires… On a beau chercher, on ne voit pas à quel titre l’UOIF aurait sa place dans une manifestation antiraciste. Hassan Iqioussen, l’un de ses prédicateurs vedettes dûment salarié, vient d’être épinglé pour ses propos sur les Juifs, qu’il décrit comme « ingrats » et « avares » dans une conférence distribuée en cassette. A l’écouter, ce sont les « caractéristiques » des Juifs qui expliqueraient la situation en Palestine. Ce sont également les Juifs qui sont responsables de l’antisémitisme et qui auraient poussé « Hitler à faire du mal aux Juifs allemands pour les forcer à partir »…. Des propos que ne renierait pas le mentor théologique de l’UOIF, Youssef Al-Qaradhawi, qui a encore récemment déclaré : « Il n'y a pas de dialogue entre nous et les Juifs, excepté par le sabre et par le fusil » . A propos de l’affaire Iqioussen, le Mrap a publié un communiqué surprenant, dans lequel il « s'étonne que cette information, rendue publique et dénoncée dès le 17 janvier 2004 par l'Humanité, soit réutilisée dans un contexte où s'approche la manifestation du 7 novembre 2004 contre le racisme, l'antisémitisme, et les discriminations, et dont l'UOIF est signataire ». En clair, le Mrap sait depuis longtemps que les prédicateurs de l’UOIF tiennent des propos antisémites, accepte sa signature en toute connaissance de cause, et demande aux autres de faire de même sous prétexte de serrer les rangs. D’autant que l’antisémitisme n’est pas la seule spécialité raciste au menu de l’UOIF. Farid Abdelkrim, un émule de Tariq Ramadan qui a longtemps dirigé la section jeunesse au sein de l’organisation, n’est pas avare de stéréotypes envers les non-musulmans, qu’ils décrit comme des « blancs » et des « mangeurs de boudins » dans un petit livre intitulé Naa bou la France ?! (Maudite soit la France). C’est dire le malaise des antiracistes laïques, à qui l’on n’a signalé la présence de l’UOIF qu’après signature. Certains ont retiré leur nom comme SOS Racisme, l’UFAL et la Coordination féministe et laique. Localement, comme à Lyon, certains laïques ont réussi à imposer leur refus de céder aux sirènes de l’intégrisme en acceptant de participer « à condition que ni l' UOIF, ni Divercité, ni "Une école pour tous" ne figurent dans les signataires. » Là-bas, on pourra donc défiler sans craindre d’être en mauvaise compagnie. A Paris, c’est une autre paire de manche. Les associations sont traversées par le débat. Beaucoup hésitent à apparaître comme les « diviseurs ». Une fois de plus, le chantage à la « division » ou à « la déstabilisation » menace d’esquiver le débat de fond autour de cette question, dont dépend l’avenir de l’antiracisme : Peut-on défiler contre le racisme aux côtés d’organisations intégristes racistes ? Sarkozy, lui, a déjà répondu…

Fiammetta VENNER

Article paru dans Charlie Hebdo du 3 novembre 2004

Prochoix

20 décembre 2003

Entretien avec Caroline Fourest à propos de Tirs croisés (Tohu bohu)

Tohu Bohu, le journal de l'UEJF (décembre 2003)

Le projet de Tirs Croisés est de traiter à la fois les intégrismes juif, chrétien et musulman mais ces trois intégrismes sont-ils vraiment comparables ? Pour ne parler que de la violence, peut-on objectivement mettre sur le même plan un réseau comme Al-Qaïda et quelques poignées d’illuminés ?

Al-Qaïda ne représente qu'une poignée d'illuminés et regardez de quoi ils sont capables ! Il ne faut jamais chercher à évaluer la dangerosité d'un groupe fanatique par rapport à son nombre. Un seul homme, au bon moment, au bon endroit, peut faire basculer l'état du monde. Il a suffit d'un intégriste juif pour tuer Rabin… En revanche, je comprends tout à fait que l'on puisse se demander si les intégrismes juif, chrétien et musulman présentent le même potentiel terroriste ou totalitaire. Mais pour le savoir, il n'ya décidémment rien mieux que de les comparer. Loin d'être évidente, cette approche nous est apparue comme le seul moyen de trouver des réponses nouvelles aux questions que nous nous posons tous depuis le 11/09. En fait, ce livre s'est imposé à nous à la suite de deux traumatismes. D'abord la Conférence de Durban sur le racisme, où nous étions. C'était un moment assez surréaliste. Nous pensions venir pour discuter du racisme et nous avons surtout assister à un déferlement de haine antisémite, pas seulement de la part des islamistes présents (et ils étaient nombreux) mais aussi de la part de certains militants antiracistes qui semblaient prêts à soutenir cette prise en otage sous prétexte de dénoncer la politique israélienne. Nous sommes rentrées à Paris le 9 septembre. Deux jours plus tard, nous étions invitées sur RCJ pour parler de ce qui c'était passé à Durban. Entre-temps, il y avait eu le 11 septembre et tout semblait devoir être figé dans l'autre sens. Un auditeur a appelé pour dire que les attentats-kamikazes étaient le signe d'une barbarie propre à l'Islam… Comme si l'Islam était la seule religion capable de produire du fanatisme. Entre ceux qui pensaient pouvoir confondre tous les juifs du monde avec des militants pro-Sharon et ceux qui pensaient pouvoir confondre tous les musulmans du monde avec des militants pro-Ben Laden, il y avait de quoi devenir fou ! Il fallait impérativement trouver le moyen de sortir de cette opposition stérile, de ramener un peu de raison pour redessiner une ligne de fracture qui ne soit plus un combat entre deux identités (Juif/Musulman, Orient/Occident etc) mais entre deux projets de société… En l'occurence, nous pensons que ce qui se joue en ce moment n'est pas un "choc des civilisations" mais un choc des idées, opposant les théocrates de toutes les religions aux démocrates de toutes les sensibilités, croyants ou agnostiques. Nous n'aurions pas pu redessiner cette ligne de fracture si nous n'avions pas pris le temps de comparer sans a apriori les intégrismes juif, chrétien et musulman. Ce qui nous a permis d'identifier précisemment en quoi il étaient différents mais aussi en quoi ils convergeaient.

Justement, quels sont les points communs de ces intégrismes ?

Les intégristes juif, chrétien et musulman rêvent du même monde : un monde où les croyants dominent les non croyants, où les hommes dominent les femmes, où la sexualité est obligatoirement hétéro-reproductrice, où la liberté et la culture s'arrêtent là où commence la morale religieuse et où la défense du sacré peut justifier de mener des actions violentes et meurtrières. Car tous considérent que la loi divine est supérieure à celle des hommes. Autrement dit : aucune décision prise par des êtres humains, même à la majorité, ne pourra jamais être respectée si elle contredit LEUR interprétation de la volonté divine. Les intégristes juifs menancent en permanence les démocrates Israéliens de "guerre civile". Le 14 février 1999, 250 000 militants religieux – soit 10 % de la population israélienne – ont manifesté contre une série de jugement de la Cour suprême jugés "antireligieux" pour avoir autoriser les magasins des Kibboutz à ouvrir le samedi et avoir aboli la dispense militaire de certains Haredim. Eliahou Suissa, le numéro deux du Shas et ministre de l’Intérieur sous Netanyahu, a même déclaré : « Si la Cour suprême continue de se mêler de nos affaires, il y aura une guerre ici ». Ce type de menace est récurrent. Elle existait déjà en 1995, lorsque les ultra-orthodoxes s'opposaient au processus de Paix initié par Rabin. Leur guerre civile n'a fait qu'un mort mais quel mort… Ce jour là, les intégristes juifs ont porté un coup fatal à la démocratie et à la Paix, comme les islamistes ont porté un coup fatal à la démocratie et à la Paix en assassinant Sadate (parcequ'il voulait faire la paix avec Israël). Il ne faut pas se leurrer, même s'ils appartiennent à des camps opposés, les intégristes juifs et musulmans ont les mêmes intérêts : fanatiser le conflit au Proche-Orient de façon à prendre le pouvoir dans leur propre camp au détriment des démocrates et des laïques.

Malgré ces ressemblances, votre ouvrage est très clair sur le fait que l'islamisme « présente un risque accru ». Quelles en sont les raisons ?

A l'issu de cette entreprise comparative, nous expliquons que le danger du fanatisme musulman ne s'explique pas à la lumière du Coran mais à la lumière d'une série de facteurs géo-politiques. La Torah est un texte très dur, prônant l'instauration d'une théocratie, et pourtant il existe des juifs fabuleusement attachés à la démocratie. Le Nouveau testament est un principe un texte plus doux et pourtant la Sainte Inquisition a existé. De même, le Coran n'est pas aussi violent et sexiste que voudraient nous le faire croire les islamistes. En réalité, Mahomet a même sincèrement essayé de faire évoluer le statut des femmes de son époque. Mais ce n'est pas le message que souhaitent en retenir les islamistes, prêts à tout pour mettre la révélation coranique au service de leurs ambitions politiques. Si l'islamisme est aujourd'hui l'intégrisme qui présente le plus d'atouts pour devenir le prochain totalitarisme, ce n'est parce que l'Islam est une religion plus fanatique mais parce que l'islamisme, en tant que projet politique, rencontre moins de contre-pouvoirs et plus d'alliés que les deux autres intégrismes.

Quels sont ces contre-pouvoirs qui n'opèrent pas face à l'islamisme comme ils le font face à l'intégrisme juif ou chrétien ?

Les intégrismes chrétiens et juifs existent dans des pays démocratiques, comme les Etats-Unis ou Israël. Leurs victimes peuvent donc s'en protégées grâce à l'Etat, à la Cour suprême ou toute autre institution laïque. Beaucoup d'Israéliennes sont régulièrement la cible des ultra-orthodoxes de Mea Sharim (un quartier haredim de Jérusalem). Elles se font jetter des pierres parcequ'elles ne sont pas en "tenue décente" — c'est à dire une robe qui couvre les bras et les jambes — mais elles peuvent porter plainte auprès de la Cour suprême Israélienne et obtenir réparation. Tandis qu'une femme vivant en Arabie Saoudite n'a aucun recours ! L'islamisme évolue dans des pays moins démocratiques, où il n'existe aucune institution suffisamment laïque pour lui faire barrage. Même quand ils luttent officiellement contre les terroristes islamistes, certains dirigeants, comme en Egypte, durcissent l'application de la charia pour tenter de calmer les intégristes. Non seulement, l'intégrisme musulman a plus d'impact mais il a aussi plus d'alliés potenciels que l'intégrisme juif ou chrétien. Il ne viendrait à l'idée d'aucun militant tiermondistes ou altermondialiste d'inviter Christine Boutin à leurs congrès. Par contre, ces mêmes militants ne voient aucun inconvénient à dialoguer avec Tariq Ramadan, qui défend pourtant les mêmes valeurs concernant les femmes ou les mœurs…

Quels dangers fait courir, selon vous, le discours des néo-fondamentalistes façon Ramadan à la laïcité ? Doit-on leur ouvrir les portes et les tribunes des grands médias ?

Je crois qu'on est en train de faire avec Ramadan toutes les erreurs que l'on a faites avec Le Pen. Il ne faut pas l'interdire d'antenne mais les journalistes doivent comprendre qu'ils ne sont pas suffisamment armés pour faire face à un discours aussi trompe l'œil. La stratégie de Tariq Ramadan est la même que celle des Frères musulmans, le mouvement fondé par son grand père : faire croire que l'on est un "réformateur" pour mieux dissimuler un islam fondamentaliste politique et rétrograde. Le réformisme fondamentaliste qu'il défend est trompeur : il nous fait croire à un moyen de moderniser l'islam alors qu'en en réalité cette "réforme" consiste à retourner aux fondements de l'Islam, autrement dit à une lecture primitive et archaïque de l'islam. Mais comme cette démarche est née en réaction à la colonisation (le premier combat des Frères musulmans), une certaine extrême gauche tombe dans le panneau et croient pouvoir s'allier avec cet islamisme au nom de la solidarité face à l'impérialisme américain et au sionisme, quitte à légitimer une vision intégristes des femmes et des mœurs et donc à trahir les militants altermondialistes féministes, homos et laïques…

Vous dites dans votre livre que la haine anti-juifs fait partie des "atouts" de l'islamisme…

Tout à fait. La paranoïa antijuive a toujours fait des miracles pour fédérer autour d'un projet totalitaire. Or c'est ce qui est en train de se passer avec l'islamisme. L'extrême droite chrétienne est séduite par son antisémitisme. Et une certaine extrême gauche croit pouvoir confondre cet antisémitisme avec de l'antisionisme… Résultat, l'islamisme dispose de beaucoup plus d'alliés potentiels que les deux autres intégrismes.

Dans une tribune parue dans Libération, vous critiquez le terme d’« islamophobie ». Quels problèmes posent ce terme ?

Le mot "islamophobie", intronisé en France par Tariq Ramadan, est un cadeau empoisonné, inventés par les islamistes pour faire passer la critique de l'islam pour du racisme. C'est un stratagème qui s'est imposé dans les cercles islamistes londoniens au lendemain de l'affaire Rushdie et qui, de fait, s'est révélé beaucoup plus efficace que la lutte contre le blasphème. Au lendemain de l'affaire Scorsese, les intégristes chrétien de l'AGRIF, l'association du frontiste Bernard Antony, ont eu exactement la même idée. Au lieu de faire sauter des cinéma au nom du blasphème, il ont décidé de faire des procès à Charlie Hebdo pour "racisme anti-chrétien". La seule diffrence, c'est que tout le monde les voit venir, parce que tout le monde sait que l'intégrisme chrétien est une démarche réactionnaire. En revanche, plusieurs associations comme la Ligue des droits de l'homme ou le MRAP ont repris à leur compte le mot "islamophobie", quitte à devenir les instrument d'une censure de la pensée critique. Il est quand même très inquiétant de voir que la LDH qui, hier encore soutenait Rushdie contre les islamistes, récupère aujourd'hui ce terme — pensé contre Rushdie —et fait des procès en "islamophobie" à des écrivains comme Houellebecq, simplement pour avoir critiquer l'Islam…

Toujours dans cette tribune, vous exprimez la peur que les partisans de la laïcité soient « disqualifiés » en étant considérés comme des fanatiques ou des racistes. Vous décrivez la laïcité comme un idéal en voie de disparition. Pouvez-vous expliquer cette crainte ?

Contrairement à l'image d'épinal que nous avons vu de France, la laïcité est non seulement une exception culturelle à l'échelle du monde mais c'est une valeur en voie de disparition. La France est l'un des seuls pays au monde dont la Constitution ne fait pas référence à la religion. Son modèle de laïcité est même minoritaire en Europe qui va bientôt s'élargir à des pays comme la Pologne (dont on sait l'attachement aux valeurs les plus réactionnaires du christianisme). Ce n'est pas pour rien si le Vatican fait un lobbying forcéné sur le projet de futur constitution européenne, où il a déjà gagné que les Eglises chrétiennes bénéficient d'un dialogue privilégié avec le parlement européen. Ce n'est pas pour rien que des mouvements islamistes comme l'UOIF teste la laïcité française et tente d'assouplir son modèle à force d'encourager des jeunes filles à se rendre voilées en classe…

Comment appréciez-vous la gestion gouvernementale des problèmes de laïcité ?

Les difficultés que rencontre actuellement la laïcité sont éminement liées à la question de l'intégration. Or sur ce dossier, la gestion de Nicolas Sarkozy a été catastrophique. En faisant croire que les musulmans les plus islamistes pouvaient cohabiter avec les musulmans les plus éclairés au sein du Conseil français du culte musulman, il a fait dormir le loup et l'agneau ensemble. La Mosquée de Paris se retrouve à devoir être le porte-parole de l'UOIF et l'UOIF n'a jamais été aussi légitime. Il ne faut pas s'étonner si de plus en plus d'immigrés arabes se définissent comme "musulmans" puisque le ministre de l'intérieur lui même ne sait pas faire la différence…

Vous appelez de vos vœux un « renouveau laïque transculturel » ? De quoi s’agit-il exactement ?

Il faut résister à l'idée selon laquelle la laïcité est une valeur "occidentale". C'est un idéal que souhaitent tous les démocrates éclairés, croyants ou agnostiques, de l'Orient comme l'Occident. C'est ensemble, de façon transculturelle, que nous résisterons au totalitarisme que souhaitent nous imposer les intégristes de toutes les religions.

Prochoix

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